J'écoute depuis longtemps.
Je conte, je raconte depuis plusieurs années.
J'écris, je crée mes histoires souvent nourries par la rencontre d'un territoire, d'un pays et de ses gens. Puis je rêve à haute voix. Cela fourmille d'images. Puis tout tient en cet instant où l'histoire est dite en public.
En amont de mon passage à l'Atelier expérimental de Clans, je songeais expérimenter du parler, parler-chanter, chanter des éclats d'histoires, à partir de cueillettes, d'échanges, d'écoute avec la population...
Puis je suis arrivée à Clans, à l'Atelier, et je me suis tue. J'y serai venue quatre fois une semaine. Une fois par saison.
L'Atelier se situe face à la montagne.
Une profondeur, une présence de ce paysage et de cet espace.
Une étrangeté dans la répercussion du son extérieur comme intérieur
TEND L'ECOUTE.
Puis, je me suis égarée sur les traces d'autres "expérimentateurs" passés avant moi:
- iodes minuscules clignotant, surgissant sur les murs de la Villa; apparitions furtives, surprenantes, magiques comme autant d'impromptus, d'incongrus dans l'espace...
- partition musicale de l'écoute de l'écoulement de l'eau, chemin de pastilles plus ou moins claires racontant le saisissement de cet instant...
- enregistrement des voix de gens d'ici; langue qui sonne, que je ne comprends pas et qui me parle...
Dans le même temps, je déambule dans les rues, je parcours le village et me perds dans la montagne alentour. L'eau parle de partout.
Je rencontre des gens; j'écoute; j'attrape au vol quelques bribes; cela devient presqu'un rendez-vous avec certains. Des gens me reconnaissent, intrigués par ma présence, curieux de savoir ce que je peux bien faire...
Je ne sais pas. Patience et impatience.
Je suis tendue et perdue; en moi et hors moi.
Je marche des heures.
J'arpente le village en pleine nuit.
Abandon. Disponibilité. Fragilité. Flottement de la pensée.
Tout entière à cet instant, j'écoute...et je vois.
Impulsion.
L'appareil photo est avec moi; je prends des clichés nocturnes.
Les clichés : des ombres portées par l'éclairage public, des lumières dans l'eau, sur les murs, dans la rue.
Je recommence le jour : lumières dans l'eau, puis quelques profils à la nuit tombante, toute à l'écoute du village, de l'instant.
Expulsion
Je m'attèle à un montage silencieux. C'est la première fois que je raconte sans un mot. Seule l'eau qui coule est présente. Et c'est aussi la première fois que j'expérimente certains logiciels. Tentation d'en faire trop dans la forme; trouver l'adéquation entre l'image et le rythme.
Pendant le temps de recherche, je donne à voir le montage à quelques gens du village Retour : étonnement, silence, émotion... On ne reconnait pas son "chez soi"...
Parallèlement, j'écris; formes brèves, éliptiques, condensées, ouvertes.
Comme des photos vocales en mouvement ou des arrêts sur image par les
mots.
Début décembre, je donnerai à entendre mes textes courts en des lieux-clés pour moi dans le village, puis projetterai le montage silencieux et tenterai de saisir à nouveau l'écho de l'instant, ce qui fera l'objet de mon quatrième passage à Clans. Le montage, quelques photos choisies en écho avec les courts écrits, seront la trace de mon passage : ce sera ma Cinquième Saison.
Dans le même temps, sur le village de Clans, j'ai accompagné l'écriture de quatre créations en compagnie de quatre conteurs professionnels de la région. Quelques temps collectifs avec des gens du village sur certaines étapes des récits liées à la constructions des images, à l'imaginaire furent partagés ainsi que des séances d'écoute des histoires avec retours de leurs perceptions.
Voyager à travers le réel, c'est prendre possession du temps de l'imaginaire, nos deux temporalités étant indissociables dans l'ensemble de nos activités créatrices. Créatrices? Pas nécessairement, simplement exploratrices, tant les deux ordres sont imbriqués l'un dans l'autre.
Qu'est-ce qui est réel, qu'est-ce qui ne l'est pas?
Il se pourrait bien que le prétendu réel ne soit que de l'imaginaire ayant cristallisé et durci ou encore que l'imaginaire ne soit que du réel éclairé d'autre façon que l'habituelle, éclairé par ce que nous baptisons par commodité "lumière de l'esprit".
"Un jour, un Sultan appela à son palais des peintres venus les uns de Chine, les autres de Byzance. Les Chinois prétendaient être les meilleurs des artistes; les Grecs, de leur côté, revendiquaient la précellance de leur état. Le Sultan les chargea de décorer à fresque deux murs qui se faisaient face. Un rideau séparait les deux groupes de concurrents qui peignaient chacun une paroi sans savoir ce que faisaient leurs rivaux. Mais, tandis que les Chinois employaient toutes sortes de peintures et déployaient de grands efforts, les Grecs se contentaient de polir et lisser sans relâche leur mur. Lorsque le rideau fut tiré, l'on put admirer les magnifiques fresques des peintres chinois se reflétant dans le mur opposé qui brillait comme un miroir. Or, tout ce que le Sultan avait vu sur le mur des Chinois semblait beaucoup plus beau, reflété sur celui des Grecs." Ceci est dit par un apologue soufi, repris à son compte par Djelâl-Eddine Roûmi dans le Mathnavî et cité par Salah Stétié dans "La nuit de la substance" (Fata Morgana)
Ce passage par l'Atelier expérimental m'amène à songer à une nouvelle écriture entre images réellement projetées ou photos exposées en des lieux nouveaux pour chaque rencontre avec un public, récits et un territoire. Le tout sous une forme déambulatoire. Une première réflexion est en route sur l'Ile d'Oléron pour une prochaine recherche.
A suivre!